Deux jours après la commémoration du génocide congolais, non encore reconnu par la communauté internationale, le prix Nobel de la paix 2018 Denis Mukwege a déploré l’inaction de la diplomatie congolaise au sujet de l’établissement d’un Tribunal pénal international pour la RDC, une juridiction qui devrait, si elle est créée, juger tous les crimes (génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité…) commis sur le territoire congolais.
Alors que le président de la République, Félix Tshisekedi avait réaffirmé son engagement, en février dernier lors de la 52e session du Conseil des Droits de l’homme de l’ONU, d’œuvrer à la mise en place d’un Tribunal pénal international pour la RDC (TPIRDC) ou encore une Cour pénale spéciale et des chambres spécialisées mixtes, Denis Mukwege a regretté que jusqu’à ce jour, « aucune lettre officielle réclamant l’établissement d’un TPIRDC n’a été soumise par la RDC au Conseil de Sécurité des Nations unies« .
Mukwege qui rappelle que la culture de l’impunité alimente grandement la récurrence des conflits et la perpétuation des crimes les plus graves, notamment ceux à caractère sexuels et sexistes, fustige le fait qu’ « aucune démarche diplomatique congolaise n’a été initiée pour travailler de concert avec un État membre du Conseil de sécurité à l’élaboration d’une résolution pour trancher cette question ».
Mettre fin à la culture de l’impunité
Denis Mukwege a relancé son plaidoyer pour garantir qu’à l’instar de tous les peuples martyrs de la barbarie humaine, les victimes des atrocités de masse commises depuis des décennies en RDC aient droit à une justice holistique, incluant la justice, la vérité, des réparations et des garanties de non répétition.
« Ce n’est que dans ces conditions que l’on pourra parler de réconciliation et parachever la transition de la dictature à la démocratie et de la guerre à la paix », a-t-il dit.
A l’occasion du lancement officiel de la journée commémorative du génocide congolais, le 2 août 2023, le président Félix Tshisekedi avait encouragé le Parlement à prendre des lois visant à écarter les auteurs de crimes de l’accès aux responsabilités, affirmant que les vieilles recettes, lois d’amnistie ou intégration au sein des administrations publiques, consacrant l’impunité sont à oublier, exprimant son souhait de mettre fin à la politique immorale d’accorder des promotions à ceux qui devraient répondre de leurs actes devant la justice nationale et internationale.
Dans sa réaction, Mukwege estime que le président Tshisekedi ne semble pas saisir l’importance d’intégrer les réformes institutionnelles dans la mise en œuvre d’une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle, alors que le lien le plus manifeste entre la justice transitionnelle et la réforme des institutions consiste précisément dans la mise en place d’une procédure d’assainissement (vetting) des agents de l’Etat.
« De plus, le président n’apparaît pas sensible au respect du principe de cohérence, lui qui a, entre autres, profité du dernier remaniement du gouvernement en mars 2023 pour nommer 2 ex-chefs de guerre au rang de ministre et vice-Premier ministre, après avoir désigné, deux ans plus tôt, soit le 7 août 2021, un ancien cadre du Rassemblement Congolais pour la Démocratie et chef d’une milice, l’Alliance de Libération de l’Est du Congo (ALEC) proche du M23 et du Rwanda, au poste de coordinateur national du Programme National de Démobilisation, Désarmement, Relèvement communautaire et Stabilisation (PDDRC-SS) », a-t-il déploré.
Justice transitionnelle
En RDC, le projet de loi-cadre de justice transitionnelle n’est toujours pas adopté par le Parlement, regrette Mukwege qui juge « curieux » d’entendre le président Félix Tshisekedi « plaider » pour un objectif qui relève, en bonne partie, de sa sphère de responsabilité.
« En effet le plaidoyer est le propre de l’action de la société civile alors qu’un président est appelé à « décider », agir et à créer les conditions pour faire aboutir ses priorités », a-t-il rappelé.
En juin 2021, la Fondation Panzi que dirige Denis Mukwege avait publié une note de plaidoyer pour l’adoption d’une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle en RDC, en insistant sur la nécessité de combiner des mécanismes judiciaires et non judiciaires, qui sont complémentaires, et de prioriser les poursuites judiciaires pour mettre fin à l’impunité et les réformes institutionnelles pour garantir la non répétition.
« Alors que nous insistons aux côtés de nombreux experts sur le besoin d’adopter une politique nationale et une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle intégrant tous les mécanismes afin qu’ils soient menés simultanément autant que faire se peut (réformes institutionnelles et garanties de non-répétition, poursuites judiciaires, réparations, mécanismes de recherche de la vérité), avant d’élaborer un cadre normatif pour «ne pas mettre la charrue avant les bœufs », le président a signé le 26 décembre 2022, la loi dite FONAREV, relative à la protection et à la réparation des victimes de violences sexuelles liées aux conflits et des victimes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité », a indiqué le prix Nobel de la paix.
Denis Mukwege a insisté sur la mise à profit de la plus-value de tous les mécanismes de la justice transitionnelle en RDC, en tenant en compte la dimension internationale des conflits car, dit-il, le système judiciaire congolais, peu équipé et dysfonctionnel, n’a pas les moyens de mettre fin à la culture de l’impunité pour les crimes de masse du passé et du présent.