L’existence de l’infraction d’offense au chef de l’Etat est, de l’avis des juristes et défenseurs des droits de l’homme, surannée et ne peut aujourd’hui se justifier en République démocratique du Congo (RDC) où la Constitution a prohibé l’atteinte au droit des citoyens de s’exprimer clairement et librement.
Survivance du crime de lèse-majesté, lequel, à l’antiquité, la personne du roi était intouchable et inviolable, cette infraction est prévue par l’ordonnance-loi n°300 du 16 décembre 1963 relative à la répression des offenses envers le chef de l’État. L’article 1er de cette loi ne définit pas l’offense et ne se limite qu’à formuler la peine applicable à cette incrimination.
« L’offense commise publiquement envers la personne du chef de l’État est punie d’une servitude pénale de trois mois à deux ans et d’une amende de deux mille à dix mille francs, ou d’une de ces peines seulement », prévoit la loi.
Lors de la rentrée judiciaire 2022-2023, le procureur général près la Cour de cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire de la RDC, a suggéré la révision à la hausse de cette peine. Selon lui, « les offenses envers les très hautes autorités du pays et les propagations des faux bruits » sont de nature « à alarmer la population et à mettre un frein au développement ».
Cette proposition a scandalisé les activistes des droits de l’homme. « aggraver la peine de l’offense au chef de l’Etat, c’est une demande exagérée et partisane », a réagi le président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho).
Pour Jean-Claude Katende, « dans une démocratie où la liberté d’expression, sans insulte, doit être maintenue, favorisée et protégée, la peine mentionnée ci-dessus est déjà lourde ». Par conséquent, dit-il, « l’aggraver encore risque de nous orienter vers les atteintes graves à la liberté d’expression, donc à la démocratie ».
« C’est ici le lieu de se demander si cette infraction est pertinente dans un pays qui se veut démocratique. En plus, est-ce qu’à ce jour aggraver la peine de l’offense au Président de la République est une question urgente ? Ma réponse est non », a-t-il indiqué.
Il faut « abroger » cette infraction
JC. Katende fait remarquer que la majorité des Congolais « respecte le chef de l’Etat », et par ailleurs, « ce sont des personnes isolées qui se permettent de l’insulter ».
A en croire le président de l’Asadho, « l’impact des paroles ou écrits de ces personnes isolées est limité. Beaucoup de gens qui sont dans nos villages ne savent même pas ce qui se passe à Kinshasa », a-t-il expliqué.
Au regard de cette réalité, il pense qu’en tant que citoyens, les Congolais doivent « s’opposer » à la demande d’aggraver cette peine qui est, selon lui, déjà lourde dans une République. « Nous devons demander son abrogation », a-t-il martelé.
La justice appelée à se concentrer sur les actes de corruption et de détournement des deniers publics
L’urgence aujourd’hui est, selon Jean-Claude Katende, que les autorités judiciaires travaillent pour qu’on aggrave la peine des infractions de corruption et de détournement des fonds publics. « Pareille action serait appréciée et soutenue par la majorité des congolais dans la mesure où les effets négatifs de ces deux infractions touchent tous les congolais », a-t-il laissé entendre.
Et les auteurs de ces actes( corruption, détournement) sont partout (les politiciens, magistrats, juges, pasteurs, acteurs de la société civile, sénateurs, députés, enseignants, professeurs, commerçants, étudiants…), ce qui voudrait dire qu’une telle action pourrait être bénéfique à beaucoup de congolais que de demander l’aggravation de la peine de l’offense au chef de l’Etat, une infraction qui mérité d’être abrogée dans la mesure les insultes au chef de l’Etat peuvent être punies grâce à d’autres infractions », a-t-il dit.
En République démocratique du Congo, comme dans beaucoup des États qui consacrent encore l’infraction d’offense au chef de l’État, tout avis défavorable qui touche à la personne du chef de l’État actionne généralement des poursuites judiciaires. Telle une arme politique redoutable, l’infraction d’offense au chef de l’État reste suspendue sur la tête des opposants comme une épée de Damoclès, dénonce un activiste des mouvements citoyens. L’arrestation des opposants Jean-Marc Kabund et Jimmy Kitenge illustre clairement cette thèse, a-t-il indiqué.
Reagan Ndota