Le système financier international est en crise, a indiqué le secrétaire général de l’ONU dans son intervention jeudi au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris, en France. A mi-chemin de l’échéance du Programme 2030, regrette Antonio Guterres, les Objectifs de développement durable (ODD) s’éloignent chaque jour un peu plus.
Selon le patron de l’ONU, même les Objectifs les plus fondamentaux en matière de faim et de pauvreté reculent, après des décennies de progrès.
« Beaucoup de pays africains dépensent aujourd’hui plus d’argent pour rembourser leurs dettes que pour les soins de santé », a-t-il déploré, faisant remarquer qu’aujourd’hui, 52 pays sont en défaut de paiement ou s’en rapprochent dangereusement de cet état.
« Cela inclut la majorité des pays les moins avancés. Tout comme la majorité des 50 pays les plus vulnérables au changement climatique. Des dizaines d’autres envisagent de les rejoindre », a fustigé le secrétaire général de l’ONU, qui affirme que « cette situation est intenable ».
« Il est clair que l’architecture financière internationale a échoué dans sa mission de fournir un filet de sécurité global aux pays en développement », a-t-il souligné, rappelant que cette architecture a été construite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et reflète, avec quelques adaptations, les rapports de force politiques et économiques de l’époque.
« Rendez-vous compte : plus des trois quarts des pays d’aujourd’hui n’étaient pas présents à la création des institutions de Bretton Woods-la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Et ce n’est peut-être mieux pour les Nations Unies et le Conseil de sécurité. Près de 80 ans plus tard, l’architecture financière mondiale est dépassée, dysfonctionnelle et injuste », a-t-il expliqué.
Cette architecture n’est plus à même de répondre aux besoins du monde du XXIème siècle : un monde financier multipolaire caractérisé par des économies et des marchés intégrés, a-t-il ajouté, notant que les institutions financières internationales sont aujourd’hui trop petites et trop restreintes pour remplir leur mandat et être au service de tous, en particulier des pays les plus vulnérables.
« Un exemple : le capital versé de la Banque mondiale ramené au PIB global représente aujourd’hui moins d’un cinquième de ce qu’il a créé en 1960 – alors même que les défis sont autrement plus grands », a-t-il dit.
Le système financier mondial perpétue et aggrave même les inégalités
« En 2021, et c’est une décision que nous applaudissons, le Fonds monétaire international a ainsi attribué plus de 650 milliards de dollars en Droits de tirage spéciaux. Les pays de l’Union européenne, à laquelle mon pays appartient, ont reçu 160 milliards de dollars. Les pays africains : 34. Dit autrement… un citoyen européen perçu en moyenne près de 13 fois plus qu’un citoyen africain. Tout cela a été fait dans les règles. Mais reconnaissons-le : ces règles sont devenues immorales », a-t-il dénoncé.
Dans la foulée, Antonio Guterres a prévenu qu’ une architecture financière qui ne représente pas le monde d’aujourd’hui risque d’ailleurs de conduire à sa propre fragmentation dans un monde ou la géopolitique elle-même est un facteur de fragmentation.
Il faut des réformes sérieuses
Pour le patron de l’ONU, il n’y aura pas de solution sérieuse à cette crise sans réformes sérieuses. Ainsi, il a appelé à un nouveau moment Bretton Woods, un moment où les gouvernements se réunissent, réexaminent et reconfigurent l’architecture financière mondiale pour le 21e siècle.
« Et plus tôt ce mois-ci, dans le cadre de nos préparatifs pour le Sommet du Futur, j’ai présenté un Policy Brief – un plan détaillé pour une architecture financière mondiale repensée capable de servir de filet de sécurité pour tous les pays.Je n’ai aucune illusion. C’est une question de pouvoir et de volonté politique, et le changement ne se fera pas du jour au lendemain », a-t-il dit.
Alors que les dirigeants mondiaux travaillent pour les réformes profondes qui sont nécessaires, Guterres appelle, au même moment, à prendre des mesures urgentes aujourd’hui pour répondre aux besoins urgents des économies en développement et émergentes.
« C’est pourquoi j’ai proposé un SDG Stimulus de 500 milliards de dollars américains par an pour les investissements dans le développement durable et l’action climatique. Il comprend des mesures concrètes que les dirigeants mondiaux peuvent prendre dès maintenant », a-t-il indiqué.
Selon lui, les dirigeants mondiaux peuvent mettre en place un mécanisme d’allégement de la dette vraiment efficace dans le temps qui prend en charge les suspensions de paiement, des durées de prêt plus longues et des taux plus bas, y compris pour les pays à revenu intermédiaire présentant des vulnérabilités particulières, notamment en ce qui concerne le climat.
« Les dirigeants mondiaux peuvent étendre le financement d’urgence aux pays dans le besoin, en réorientant, à plus grande échelle, les droits de tirage spéciaux inutilisés et en utilisant d’autres mécanismes innovants pour augmenter la liquidité mondiale. L’initiative de la Banque africaine de développement visant à rediriger les DTS vers les banques multilatérales de développement pourrait multiplier par cinq leur impact. Cet exemple devrait être développé. Les dirigeants mondiaux peuvent mettre en place un mécanisme pour émettre automatiquement des DTS en temps de crise et les distribuer en fonction des besoins. Ils peuvent mettre un prix sur le carbone et mettre fin aux subventions aux combustibles fossiles et les réorienter vers des utilisations plus durables et productives. Et la liste des choses que nous pouvons faire maintenant s’allonge encore et encore », a-t-il proposé.
Antonio Guterres est convaincu que ces mesures contribueraient à vaincre la pauvreté et la faim, à élever les économies en développement et émergentes, et à soutenir les investissements dans la santé, l’éducation et l’action climatique.
« Nous n’avons pas à attendre une réforme de fond en comble de l’architecture financière internationale », a-t-il précisé, appelant vivement à prendre des mesures dès maintenant et faire un pas de géant vers la justice mondiale.